samedi 30 mars 2013

Entre parenthèses

On est arrivés à la fin de l'abécédaire, et je suis en vacances (!) cette semaine donc tous les billets ont été mis en ligne automatiquement et j'ai pas trop le temps de passer voir le blog jusqu'à lundi prochain. Donc avant que ça se termine, j'avais des trucs et des choses à vous dire:

Attention, moment 'je voudrais remercier mon père, et ma mère, et mon chien'...

MERCI d'avoir suivi, relayé, retweeté, partagé ces billets de blog. MERCI d'avoir commenté, discuté, débattu, ici et sur Facebook. Je suis hyper honorée de toutes les réactions que j'ai eues et ravie que cet abécédaire vous ait plu. Ca fait plusieurs années que je blogue et que certains de mes articles trouvent un écho chez certaines personnes, mais j'ai eu plus de visites pour cet abécédaire que jamais auparavant. Je pense publier l'abécédaire sous forme de PDF gratuit sur mon site; je posterai le lien ici quand ça se fera.

Bref, je sais qu'il y a un public pour une approche en profondeur de la littérature jeunesse, un peu en parallèle des chroniques et des thématiques, une approche un peu plus théorique et critique. Il faut que cette approche sorte de la tour d'ivoire et vienne faire un tour sur internet! MERCI d'avoir confirmé, et de continuer à confirmer, que c'est en effet le cas. Je suis toujours ravie d'écrire sur des sujets 'imposés' (ça doit être l'ancienne hypokhâgneuse en moi) donc n'hésitez pas à m'en proposer.

MERCI en particulier à certaines personnes qui ont beaucoup relayé les articles et commenté: Alice Liénard (allez sur son très beau blog Sous un pissenlit), Alice Brière-Haquet (qui est l'inventeuse du concept d'abécédaire bloguesque), Séverine Vidal, Anne Loyer, Julie Bélaval, Annie Bacon, Stéphanie Dumas. Il y en a sans doute d'autres que j'oublie, évidemment, donc dénoncez-vous dans les commentaires hein, n'hésitez pas.

Grâce à cet abécédaire, j'ai eu plusieurs 'demandes d'amis' sur Facebook. J'en ai accepté beaucoup quand c'était des personnes dont j'avais entendu parler ou avec qui j'ai beaucoup d'amis en commun, mais s'il vous plaît, si je ne vous connais pas du tout... envoyez-moi au moins un mot pour me dire qui vous êtes! Et sinon, je n'ai pas de page perso, mais vous pouvez quand même 'suivre' les mises à jour publiques de ma page Facebook, si vous voulez.

Et enfin, pour ceux qui justement ne sont pas mes amis Facebook, la bonne nouvelle du moment c'est que le croisage de doigts de ceux qui ont croisé a marché... car j'ai trouvé un poste de post-doctorat pour les trois ans à venir! Je serai Junior Research Fellowship (genre castor junior de la recherche) au college de Homerton, à Cambridge, au centre de recherche en littérature jeunesse où j'étudie déjà. C'est un énorme soulagement et un énorme bonheur car ces postes sont très compétitifs et très... confortables. Quand j'aurai rendu ma thèse de doctorat, je pourrai donc passer à mon nouveau projet de recherche, qui est, qui est... eh ben, je vous dirai ça un jour ou l'autre.

Le groupe de recherche en LJ à Homerton, où je retournerai donc en tant que Junior Research Fellow

A plus tard!

Bises à touszétoutes.

Clem

vendredi 29 mars 2013

Z comme Ze End

Hé oui, c'est déjà fini!

déjà....fini???

Ca va aller, ça va aller. Ca reste un billet, quand même, donc on va en profiter à fond, hein? Toutes les bonnes choses ont une fin... et ensuite... y en aura d'autres, des billets! 

Parlons donc, justement, des fins dans la littérature jeunesse.

L'une des choses qui distingue le plus la littérature jeunesse de la littérature 'adulte', c'est la fin. Il y a une attente spécifique, en littérature pour enfants, de fins qui, si elles ne sont pas complètement heureuses, soient du moins porteuses d'espoir. Ce n'est pas forcément un souhait catégoriquement exprimé par qui que ce soit - auteurs, éditeurs, parents, enfants - mais c'est plutôt une sorte de convention. Elle vient peut-être du fameux 'ils vécurent heureux'. Ou peut-être simplement du fait qu'on n'aime pas l'idée que l'enfant va refermer le livre et pleurer ou se sentir tout vide.
Disney: Distilleur de fins à la guimauve depuis 1924
Mais il y a des fins qui, bien que porteuses d'espoir, sont ouvertes, extrêmement ambiguës, indécidables. On a par exemple la fin de Tistou les pouces verts, où Maurice Druon nous dit que Tistou est parti dans le ciel parce qu'il 'était un ange'. Mais qu'est-ce que ça veut dire?

Mini-Moi: Pouquoi il est pati dans le ciel pasqu'il était un zange?
Ma mère: Ca veut dire qu'il est mort. 
Mini-Moi: *pleure* *ne relit jamais le livre*
 
En fait, cette fin est ouverte à d'autres interprétations. Peut-être que Tistou n'a jamais été humain, donc que monter au ciel veut simplement dire qu'il rejoint sa 'vraie' famille là-haut. Peut-être qu'il est mort. Peut-être qu'il est parti en mission aider une autre ville. Avec ce genre de fin, on permet à l'enfant de ne comprendre que ce qu'il est prêt, psychologiquement, à accepter. 

On a aussi des fins qui changent tout à l'histoire: ce sont des fins façon nouvelle de Maupassant, qui créent une surprise énorme et font voir tout le livre différemment. Ces fins-là requièrent une seconde lecture pour assimiler tous les détails qu'on avait ratés. C'est le cas, par exemple, du génial Je n'irai pas, de Séverine Vidal.

Allez, je vais pas lui spoiler son album, à la Séverine, mais quelques indices: c'est quelqu'un qui ne veut vraiment, mais vraiment pas du tout aller à l'école pour la rentrée. Les gens sont horribles! Les vacances c'est mieux! Je veux pas travailler! Mais quand on découvre, à la fin, qui est réellement ce personnage...

Ce genre de fins façon 'blague' ou 'révélation' est extrêmement puissant pour parler avec humour et surprise des clichés et des préjugés. L'extraordinaire The Turbulent Term of Tyke Tiler, de Gene Kemp, raconte un trimestre agité dans la vie de Tyke Tiler, protagoniste hyperactif et aventureux. Tout le long, par un astucieux jeu de pronoms, le sexe du personnage principal n'est pas révélé et on a tendance à croire qu'il s'agit d'un garçon. Jusqu'au dernier chapitre... où le lecteur découvre que Tyke est une fille. Tout le monde le sait dans le livre, évidemment - c'est donc seulement au niveau de la lecture que cela crée la surprise, et on est conduit à repenser nos préjugés quant aux traits de caractère qu'on attend chez un 'héros' plutôt que chez une héroïne.
Et puis il y a les fins franchement déprimantes et dont on ne se remet pas aisément, comme la fin de La guerre des chocolats de Robert Cormier, qui disent les choses comme elles sont: s'il y a de la violence à l'école, ça peut mal se finir. Sans être moralisante pour un sou, ce genre de fins est l'occasion de 'réveiller' le lecteur: tout ne s'arrange pas toujours, et la littérature reflète ces échecs-là.

Mais les fins véritablement sans espoir, complètement nihilistes, restent très rares en littérature jeunesse. Même dans les profondeurs terribles de la fin de Quelques minutes après minuit, de Patrick Ness - je ne spoile rien en précisant que la mère du jeune garçon finit par mourir d'un très long cancer - on peut quand même s'accrocher à l'idée que le travail de deuil a déjà commencé, que le héros s'en sortira, que les dernières semaines passées en compagnie du monstre raconteur d'histoires ont préparé le protagoniste à faire face à cette fin inévitable. 

Warning, livre très, très dur...
Personnellement, j'adore les fins dites 'ouvertes' en littérature jeunesse, surtout chez les tout-petits. Mais elles sont difficiles à vendre. J'ai plusieurs récits avec des fins comme ça, ambiguës, douces-amères, et les éditeurs hésitent parce qu'elles peuvent parfois être effrayantes. La sécurité, c'est la certitude: c'est une fin qui fait ce qu'elle a à faire, c'est-à-dire tresser ensemble toutes les intrigues primaires et secondaires en une jolie résolution façon 'épilogue'.

La fin est toujours un reflet de ce que l'adulte souhaite transmettre à l'enfant. Le livre est-il un 'épisode de vie', fini, rangé, classé? ou une ouverture vers des évolutions futures? L'histoire doit-elle apprendre quelque chose à l'enfant, ou permettre d'autres apprentissages inconnaissables par l'adulte? Le livre doit-il refléter la vie dans toute son imprévisibilité et son amoralité, ou 'mentir par omission' en donnant du sens à ce qui n'en a pas véritablement? Toutes ces questions animent l'auteur quand il met le mot 'fin', et le lecteur quand il s'aperçoit qu'il est à court de pages et doit s'en contenter. 

Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses, je crois, juste différentes perspectives sur l'accompagnement de l'enfant par l'adulte. Jusqu'à où doit-on accompagner l'enfant? Jusqu'à où doit-on lui faire comprendre qu'un jour l'adulte mourra et qu'alors il sera tout seul? 

Sur ce joyeux rappel de notre propre finitude, je vous dis à très vite et je tire le rideau de cet abécédaire. Merci de l'avoir suivi!

mercredi 27 mars 2013

Y comme Y-Generation

Mais elle sait ce qui est important dans la vie
La génération Y, c'est celle de moi et de mes potes à moi. C'est nous qu'on est nés avec la technologie, apparemment (Adibou! Encarta! Les Sims 1!). Mais bon, faut relativiser. Ok, j'avais une Game Boy mais la famille n'a acquis un ordinateur qu'en sixième, j'ai eu mon premier portable en seconde, é ct o moman ou falé vrt écrir d sms cour paske les forfé sms ilimité ça existé pa. C'est plutôt du côté de ma petite filleule de 3 ans qu'il faut trouver les vrais digital natives, les natifs du numérique. Nous, à côté, les bébés des années 90, on est pathétiquement sans-écran.

Bref, ce dont je vais parler aujourd'hui, c'est du rapport entre enfance et technologie en littérature jeunesse. Il y a une branche de la théorie littéraire, assez récente, qui s'est développée pour théoriser les représentations du surhumain, du cyborg, de l'humain 'modifié': la théorie post-humaniste.

Le post-humanisme s'intéresse à ce qu'il advient de l'humain quand on l'augmente, le modifie, le corrige par des moyens technologiques; ou tout simplement lorsque l'individu est tellement inscrit dans un univers numérique que cela modifie son rapport à la réalité. En littérature jeunesse, c'est une perspective très nouvelle et je crois que le premier monographe sur le sujet sortira en anglais l'année prochaine.

Je ne suis pas une spécialiste en la matière, mais ce qui me frappe, dans les représentations de la technologie en littérature pour ados et pour enfants, c'est qu'on voit véritablement à la fois une peur et une fascination de l'adulte pour l'enfant modifié: pour l'enfant qui, en d'autres termes, pourrait bien devenir plus puissant que l'adulte (oui oui, ça faisait longtemps qu'on n'avait pas parlé de pouvoir).

Ce n'est pas un phénomène récent. Vous vous souvenez de War Games, THE film de la génération Y?

sont-ils pas MEUGNONS!!!
Ce film traduit une angoisse bien réelle de l'adulte face au 'geek' ado ou préado: par la technologie, le 'jeune' a véritablement accès à une domination possible et palpable sur le 'vieux'. C'est un renversement total des rapports de pouvoir habituels entre adultes et enfants: la connaissance, l'expérience, le savoir-faire, toutes ces aptitudes généralement réservées à l'adulte peuvent être développées - de manière exponentielle parfois - par des gamins isolés dans leur chambre. Et c'est ainsi que se développe gentiment, depuis les années 90, une véritable mythologie de l'enfant-geek. A la fois aide et menace pour l'adulte, il est chéri et détesté pour ses pouvoirs de programmation et de déprogrammation auquel l'adulte n'entrave pas grand-chose.

Et puis on a l'enfant surhumain, entièrement robot, ou technologiquement 'renforcé'. Là encore, ce n'est pas nouveau: qui parmi vous a eu le bonheur de lire l'hilarante série de 'L'Androïde' de Seth McEvoy? C'est humoristique, oui, mais ces histoires d'un garçon dont personne ne doit savoir qu'il est un robot vont très loin dans le questionnement, typique de la science-fiction, des définitions ordinaires de 'l'humain'. Etre humain est-il simplement une question d'apparence, de performativité? 

La série précise aussi ces questionnements, en les rapportant à l'adolescence: qu'advient-il de l'ado dans toute son imprévisibilité, ses tracas, son irrationalité, quand il est entièrement programmé par un adulte? Chip, le héros, nous répond qu'il est possible - et même inévitable - d'échapper à la programmation. Même robotique, l'ado reste imprévisible. Et là encore, c'est un pied-de-nez au pouvoir de l'adulte.

On arrive, en théorie, à des redéfinitions étranges et fascinantes de la différence entre adultes et enfants. L'enfant transformé par la technologie devient hyperconnecté, hyperrapide, capable d'infiltrer un monde régi par l'adulte, dont la domination n'est du coup que... virtuelle. Et si l'enfant peut, grâce à la technologie, vivre pour toujours, tout connaître, tout décrypter, que devient l'adulte sinon un être obsolète et impotent? Le vrai pouvoir devient une conquête, une invasion des lieux virtuels plutôt qu'une possession des lieux physiques; le 'territoire' de l'enfant est donc inexistant physiquement, mais extrêmement étendu symboliquement et économiquement.

L'humanité est transformée; ce n'est plus tellement un trait commun à l'adulte et l'enfant, mais un concept évasif, en constante évolution, qui peut être approprié par l'un ou par l'autre selon les progrès de la technologie. Plus que nulle part ailleurs, dans les dystopies et les récits post-apocalyptiques, futuristes ou de science-fiction pour la jeunesse, on perçoit la bataille symbolique entre adulte et enfant qui est présente plus implicitement dans toute la littérature jeunesse.

Mon ami et collègue Richard, qui fait sa thèse de doctorat sur le geek en littérature ado d'une perspective posthumaniste, a un blog (en angliche) où il liste tous les bouquins qui sortent avec des personnages de ce genre. Je vous invite à le consulter si vous voulez en savoir plus.

OHMYGOD les gens! le prochain article, c'est le der des ders! et il s'agira de Z. Comme Ze End. Sortez vos mouchoirs.

lundi 25 mars 2013

X comme X

Je voulais qu'il soit question aujourd'hui de l'interdit et des tabous en littérature jeunesse, et puis... je me suis souvenue que j'avais déjà écrit un article de blog sur le sujet! Je vais donc, pour aujourd'hui, me concentrer sur le thème de la sexualité dans la littérature jeunesse.

Le mot 'sexualité' recouvre un très grand nombre de choses différentes, et depuis Freud on sait (ou du moins, certaines personnes pensent) que les histoires pour enfants contribuent à répondre aux besoins de l'enfant quant à son apprentissage de la sexualité dans son rapport à sa famille et aux autres, même quand on ne parle jamais de quéquette.

Mais le sexe - explicitement - est aussi très présent en littérature jeunesse, à la fois fictive et informative:

dès le titre...

... on sait à quoi s'attendre
Petite anecdote. Ma petite soeur, qui devait avoir à l'époque 8 ou 9 ans, avait emporté Le guide du zizi sexuel un été, quand on était partis en vacances avec ma joyeuse bande de cousins. Evidemment, elle et nos deux cousins à peu près du même âge qu'elle (10 et 12 ans) passaient leur temps à le lire en rigolant comme des otaries. Le jour du départ, après deux semaines de vacances, c'est la consternation: Le guide du zizi sexuel a disparu! on le cherche de la cave au grenier, sans succès. On retourne à Paris la mort dans l'âme, pleurant la perte de ces pages légendaires, surtout celle où on passe le doigt dans un trou pour faire comme si le monsieur dessiné avait un gigantesque zizi avec un ongle au bout. Quelques jours plus tard, ma tante nous appelle: elle a retrouvé Le guide du zizi sexuel tout au fond du sac de notre tout petit cousin, 6 ans à l'époque...

Comme quoi les éditeurs ont raison de parier sur ce genre d'ouvrages, parce que ça fascine et ça intéresse à tous les âges.

Gros Problème n° 1.
Mais tant que tout ça reste virtuel ('Comment ça se passe un rapport sexuel?' expliqué à des gamins dont la descente testiculaire n'est même pas vaguement amorcée), tout va bien. Là où ça se gâte, c'est en littérature ado, où le sexe n'est plus du tout un horizon lointain mais une possibilité bien réelle, une préoccupation quotidienne, qui apporte avec elle son lot de Gros Problèmes.

Petite pub en passant: l'un des épisodes de mon podcast en anglais sur la littérature jeunesse, Kid You Not, est justement sur le sexe dans la littérature pour ados: vous pouvez le trouver ici. La thèse qu'on déploie dans cet épisode, c'est que le sexe en littérature ado est rarement 'gratuit'; rarement un élément indépendant, superflu, positif, sans conséquences. Quand il apparaît, il y a, la plupart du temps, une dimension morale et prescriptive évidente. 

On parle souvent de Pour Toujours, de Judy Blume, comme l'un des premiers livres pour ados où la sexualité est présentée de manière explicite, extrêmement clinique et pratique. C'est presque un manuel de la première fois, et clairement il cherche à prévenir les maladies non désirées et les bébés graves. Ou l'inverse.

De nos jours, il est presque impossible de trouver un bouquin pour ados digne de ce nom qui ne parle pas de sexe. Mais c'est rarement, encore une fois, une sexualité décomplexée, facile, sans problèmes. En général, le sexe porte à conséquences. Il y a un nombre extraordinaire de grossesses adolescentes en littérature ado, surtout en fantasy, certaines extrêmement dangereuses pour la mère (Twilight), le père (Entre chiens et loups de Malorie Blackman), certaines glamourisées à l'excès (Twilight à nouveau), mais la plupart accentuant plutôt la violence infligée au corps de la mère pendant la grossesse.

Le sexe lui-même est souvent une violence, qu'elle soit d'ailleurs déplorée ou non par le livre pour ados. Les situations de viol, ou du moins très limite, sont légion. Dans Entre chiens et loups, les deux personnages ont beau être fou amoureux, leur premier rapport sexuel a lieu quand l'héroïne est en captivité, et le héros est l'un de ses ravisseurs. Elle tombe immédiatement enceinte. Symboliquement, cette scène est un viol. Sans parler du dernier Twilight où la nuit de noces laisse cette nouille de Bella couverte de bleus, et aussi enceinte.

On perçoit à travers ces représentations de la sexualité adolescente la terreur des adultes vis-à-vis, en particulier, des filles - leur désir de les prévenir, de les protéger. Mais aussi, de manière plus dérangeante, l'ambivalence, l'étrange fascination des adultes pour la sexualité adolescente: la mettre en scène de façon si violente et répétitive, c'est aussi s'en délecter, c'est aussi réaffirmer le pouvoir narratif et symbolique d'une sexualité pourtant extrêmement taboue dans notre société.

On a aussi, cependant, des portraits plus positifs, plus assurés, plus optimistes, plus forts de la sexualité adolescente. L'excellent Candy d'Anne Loyer présente sans concessions la décision d'une jeune fille d'avorter, en toute indépendance des adultes et avec l'aide de son amie et de son nouveau copain. J'appelle ce genre de livres des représentations éthiques, et non morales, de la sexualité en littérature jeunesse. L'adolescent reste un agent libre, responsable, même s'il est parfois traumatisé. Il n'y a pas de voyeurisme de la part de l'adulte, pas de pression symbolique de l'adulte pour qu'il se conforme à un rôle préfabriqué.

Mais quid du sexe 'pur', de la représentation telle quelle de la sexualité ado, des plaisirs, des questions, des problèmes, en mode cash, sans complexes? Il y a clairement des limites. On peut avoir un mal fou à 'vendre' un projet très cru pour ce genre de lectorat, parce que c'est un thème qui rebute un peu les parents, les profs et les bibliothécaires, et que les ados ne dépensent pas beaucoup leur propre argent en livres.

En tant qu'auteur, on se heurte facilement à un mur si on ne moralise pas les représentations du sexe chez les ados, si on ne les enveloppe pas de conseils, de prescriptions, d'attentes, et si on décrit la sexualité sans mentir, c'est-à-dire en ce qu'elle est de jouissive, tendre, visqueuse, douloureuse, nauséeuse, imparfaite, euphorisante.

vendredi 22 mars 2013

W comme Waf!

Là vous regardez ça avec une moue sarcastique et vous persiflez, 'C'est quoi Waf! ?'

Waf!, figurez-vous, est une utilisation onomatopéique d'une lettre de l'alphabet fortement réticente à l'attribution aisée d'un substantif usuel. Alors la ferme.

La mienne d'animal!
(feue malheureusement)
Oui, la ferme, justement! car il est question aujourd'hui, comme vous l'aurez peut-être deviné, de nos amis les animaux, et de leurs représentations en littérature jeunesse. Enfin, pas toutes leurs représentations, hein, parce que là je sens venir le truc loooong, mais loooong, et j'ai toujours pas dîné, juste trois bouts de fenouil et faudrait pas quand même qu'en plus de pondre des billets de blog à tire-larigot pour walou de l'heure je perde des kilos non mais oh!

Bref.

L'animal et l'animalité sont presque aussi omniprésents en littérature jeunesse que Rébecca Dautremer, et sous beaucoup de formes différentes. Je ne peux pas vraiment faire une analyse détaillée, mais on va faire une petite liste des usages les plus communs, plus ou moins classée en termes de 'degrés de réalité' de l'animal.

L'animal 'normal', domestique ou sauvage

C'est l'usage le plus simple: l'animal qui est vraiment un animal, mais qui participe de près ou de loin à l'aventure. Il peut avoir beaucoup d'importance ou pas. Il peut servir d'aide aux personnages humains, ou au contraire leur faire obstacle. Un exemple de littérature jeunesse où l'animal 'normal' a une importance extraordinaire, c'est bien sûr...


... Le roman équestre, autrement dit le livre qui fait un bruit de tiroir-caisse quand tu le secoues tellement il s'en vend. On pourrait en écrire des tartines sur la fascination des enfants (surtout des petites filles, il faut être honnête) pour la gent chevaline. J'en connais qui diraient que tenir entre ses jambes un animal fort et musclé contrebalance les angoisses de castration  les livres de chevaux répondent particulièrement bien à certains besoins des cavalières en herbe. Dans ce genre de livres, l'animal est au centre de toutes les préoccupations, il est conçu comme un 'ami', voire un 'confident', mais il reste un animal normal, dont les personnages doivent le plus souvent s'occuper.

L'animal-joujou

Mais dans beaucoup de livres pour enfants, l'animal n'est pas réaliste. Il est parfois difficile d'établir la limite symbolique entre animal et peluche, entre être vivant et jouet. C'est le cas pour la série des Caroline, où la multiplication des chats et des chiens ressemble à une batterie de peluches parlantes. Milou est aussi l'un de ces animaux mi-réels, mi-joujoux de la littérature jeunesse; on a parfois accès à ses pensées, mais il ne parle pas directement aux personnages humains.

La confusion est à son comble dans Winnie l'Ourson, où Winnie est une peluche de Christopher Robin, mais semble vivre dans un bois avec à la fois des animaux réels et d'autres jouets. Les animaux-peluches tels que Michka, magiquement animés, sont légion en littérature jeunesse.

Certains critiques de littérature jeunesse théorisent que l'animal-jouet représente une sorte 'd'enfant de l'enfant'; comme la poupée, il permet d'accorder à l'enfant-lecteur un sentiment de domination sur le personnage, tout en lui attribuant des caractéristiques 'enfantines' qui seront reconnues et dénoncées, mais pas directement perçues comme étant exactement celles de l'enfant.

L'animal anthropomorphique

Les animaux entièrement anthropomorphiques, qui peuvent parler, marcher, qui s'habillent et qui vivent des aventures (avec ou sans humains à leur côté) sont extrêmement fréquents en littérature jeunesse, surtout dans les albums et les bandes dessinées. Ils peuvent être conscients ou non de leur identité animale. Il y a plusieurs avantages: l'effacement ou l'imprécision de l'âge, l'ancrage dans un monde fantaisiste ou de réalisme magique, et surtout l'adoucissement de certains thèmes...

Car il n'est pas rare que des thèmes 'difficiles' soient abordés par le truchement d'animaux anthropomorphisés, comme dans le cas de Le canard, la mort et la tulipe de Wolf Erlbruch. Dans ce cas, l'animalité sert d'écran, d'introduction indirecte à des thématiques jugées sensibles. Mais il peut aussi y avoir des effets d'humour, évidemment. Sandrine Beau, dans son Hippopotin, joue beaucoup sur l'anthropomorphisme des animaux de la savane, tout en préservant leurs caractéristiques 'physiques' (la grosse hippopotame, les minces gazelles) pour nous présenter une histoire rigolote sur le thème du culte de la minceur.

La fable ou l'allégorie

Dans la fable ou l'allégorie, les traits de caractère que l'on attribue aux animaux anthropomorphisés font partie intégrante de l'histoire; il y a généralement une 'morale', ou du moins un message, qui accompagne la présentation de ces personnages.

On pense bien sûr d'abord aux fables de La Fontaine, ou à La ferme des animaux d'Orwell, mais plus récemment on a aussi des albums tels que La grève des moutons et La petite oie qui ne voulait pas marcher au pas, de Jean-François Dumont, et leur équivalent exact aux Etats-Unis, le très populaire Click, Clack, Moo! Cows That Type (Clic, Clac, Meuh! Des vaches et une machine à écrire) de Betsy Lewin et Doreen Cronin.

Ces albums présentent sous une forme allégorique ou fabulique les combats des syndicats contre des corporations, dans le microcosme d'une ferme qui en vient à symboliser le monde de l'entreprise. On perçoit à travers ce genre de récit une certaine idée de l'enfant comme capable de comprendre ce genre de sujet, mais ayant besoin de personnages animaux pour éviter de trouver ça rébarbatif. 

Ce type d'albums joue beaucoup sur la double audience (adulte+ enfant) de l'album jeunesse. L'adulte va souvent reconnaître des stéréotypes là où l'enfant voit 'juste' un animal. Par exemple, dans Un mouton au pays des cochons d'Alice Brière-Haquet, illustré par Pénélope Paicheler, on comprend en tant qu'adulte que moutons et cochons sont respectivement des immigrés musulmans et des 'français de souche', mais ce n'est pas nécessairement clair pour l'enfant. Qu'importe, puisque le livre fonctionne au sens littéral comme au figuratif.

Le côté caricatural ou parodique de l'animal peut être un problème. Click, Clack, Moo! a été notamment critiqué pour sa représentation des ouvriers en vaches et poules... Eh oui, on a beau vouloir bien faire, l'utilisation d'animaux comme personnages n'est pas vide de sens.

Le monstre

Où s'arrête l'animal et où commence le monstre? La littérature jeunesse en est pleine. Avec le monstre, on est dans un domaine plus vague, plus dangereux, plus imprévisible aussi que l'animal. Comme l'animal, le monstre condense généralement des propriétés de l'être humain, mais dans ses dimensions les plus excessives: rage, tristesse, violence, ou tout simplement drôlerie.

Claude Ponti, L'album d'Adèle
Les 'gentils monstres', ou tout simplement les pseudo-animaux-qui-n'existent-pas-vraiment type créatures de Claude Ponti, et les animaux 'modifiés' type - oserai-je en parler? - Elmer ou Pomelo, permettent une grande liberté créative aux artistes et écrivains.

Dans la tête de l'animal

Beaucoup de livres pour enfants, enfin, racontent une histoire du point de vue de l'animal, donnant littéralement une voix à ces êtres silencieux qui nous entourent. La dimension allégorique ou didactique est très souvent présente, comme avec Black Beauty, d'Anna Sewell, qui à travers le récit de sa vie dénonce le traitement des chevaux dans l'Angleterre victorienne.

Daniel Pennac a écrit plusieurs romans dont tout ou partie est raconté du point de vue d'un animal, comme le déchirant Cabot-Caboche. Michael Morpurgo, avec Cheval de Guerre, propose le même genre de récit engagé au travers d'un oeil animal, plus sensible, plus perméable, plus naïf aussi que le serait celui d'un adulte ou même d'un enfant.

Où ça nous mène, ce petit catalogue? A la conclusion que l'animal, plus peut-être que n'importe quel autre motif en littérature jeunesse, est un outil narratif, idéologique, esthétique incroyablement versatile. Proche de l'enfant par son statut - objet et possession de l'adulte, filtre de valeurs, de croyances, de peurs de l'adulte - il est aussi, dans une large mesure, soumis et inférieur à l'enfant. Il est donc souvent l'occasion de rappeler à l'enfant-lecteur qu'il existe des êtres qui sont encore moins bien lotis que lui, qui sont sous sa responsabilité, qui méritent son attention et sa tendresse.

Mais ce faisant, le livre jeunesse confirme aussi que l'enfant est perçu par l'adulte comme proche de la nature, hypersensible à ses créatures, et donc... un peu animal aussi; sauvage, féroce, domestique, l'enfant dans toutes ses manifestations reste bestial. On demande à l'enfant à la fois de s'identifier à l'animal et de s'en détacher.

Encore un paradoxe de la littérature jeunesse, mais je suis sûre que vous y êtes habitués, maintenant...

Eh, on s'approche de la fin ou je délire? Plus qu'une semaine! Lundi, il s'agira de X, comme... X.

mercredi 20 mars 2013

V comme Vieillesse

Un petit bout de grand classique pour commencer?


Le vieil homme et l'enfant, Claude Berri

Voili voilo. Et maintenant je vous laisse, car tout ce que je voulais raconter est contenu dans cette vidéo. 

...
...
...

Bon, allez, ok, un peu d'explication quand même. 

La présentation de la vieillesse en littérature jeunesse - du troisième âge, des grands-parents, des vieillards, des personnes âgées, appelez-ça comme vous voulez - a un certain nombre de caractéristiques plus ou moins résumées dans ce court extrait: entre autres, la transgression des normes adultes, la complicité avec l'enfant, le jeu, la mort et la maladie, la sagesse.

Le 'vieux' est, comme l'enfant, un Autre de l'adulte. Vous vous souvenez de l'article sur l'enfance symbolique, et de celui sur l'oppression? La vieillesse, comme l'enfance, est une catégorie symbolique que l'adulte surcharge de valeurs, de peurs, de croyances; dans laquelle il expulse ce qu'il ne veut pas être. 

Encore une fois, la temporalité joue un rôle essentiel. L'enfant, c'est ce que l'adulte ne veut plus être; le vieux, c'est ce qu'il ne veut pas encore être. Les deux partagent beaucoup de traits de cet espace 'non-adulte', cet espace 'par-opposition-à-l'adulte': l'enfant comme le vieux sont pensés comme non-travaillants, non-sexuels, non-socialisés, non-responsables, non-rationnels, etc.

Où est le problème?
Si le vieux et l'enfant sont des navigateurs d'un espace essentiellement adulte, cela veut dire qu'ils en sont à la fois les usagers et les transgresseurs potentiels; et puisqu'ils sont ensemble dans cette galère, ils peuvent être extrêmement complices.

Et c'est ce qu'on voit beaucoup en littérature jeunesse: des grands-parents et des petits-enfants qui contournent le règlement des adultes (ici, Michel Simon donne de l'alcool et du tabac au gamin), qui profitent de la déresponsabilisation qui leur est accordée pour parfaire 'l'éducation' de l'enfant - enfin, une certaine forme d'éducation: un apprentissage de la transgression. 
'Déjà, Babar, tu te fringues, ok?'

Bien sûr, la sagesse est aussi un attribut très important de la vieillesse. Les personnes âgées en littérature jeunesse sont souvent des initiateurs, en vertu de leur expérience et connaissances accumulées qui les rendent plus sages. Mais cette sagesse va souvent à l'encontre des désirs des adultes de l'histoire. D'Obi-Wan Kenobi à Dumbledore et à Grand-Mère Feuillage et Panoramix,  les vieux sages sont ceux dont l'establishment adulte aimerait bien pouvoir se débarrasser, parce qu'ils donnent un peu trop de pouvoir à l'enfant en l'initiant et en l'aidant ainsi...

Et c'est toute l'ironie de ces livres pour enfants qui présentent une amitié, une complicité extrêmes entre jeunesse et vieillesse - une relation transgressive par excellence, ludique, jouissive, initiatique, anti-adultes -... et qui, pour finir... eh bien, se débarrassent simplement de la personne âgée. Parce que oui, un vieux, ça meurt. Ca meurt beaucoup, en littérature jeunesse...

Ca meurt dans les albums...

Ca meurt dans les livres pour enfants... (Harry Potter, ill.Mary Grandpre)

Ca meurt dans les livres pour ados...

Et qu'est-ce qu'il arrive à la jeunesse quand la vieillesse meurt?

Eh ben oui, elle se retrouve toute seule face à l'adulte.

Le 'vieux' en littérature jeunesse est un motif complexe, une sorte de jouet entre les mains de l'adulte caché. D'un côté, c'est un être sage, qui enseigne à l'enfant la 'vraie' vie, qui l'aide à subvertir les codes des adultes. De l'autre, c'est un être immensément vulnérable, affaibli, hors du système, qui peut mourir à n'importe quel moment, laissant l'enfant choqué et sans défense.

Mais l'enfant bénéficiera toujours, même au-delà de la mort, de ce qu'il a tiré de sa complicité avec le vieillard. Et c'est comme ça, me semble-t-il, que la vieillesse comme la jeunesse peuvent constamment s'opposer à l'adulte, le désorienter, lui faire perdre ses normes. C'est cette connaissance des extrêmes, de la subversion, qui leur donne des armes contre l'oppression de l'adulte.

That's all, folks! vendredi, on blablate de W, comme... Waf!

lundi 18 mars 2013

U comme Urbain

On va commencer directement avec l'un de mes albums préférés du moment, le splendide ¿Y yo qué puedo hacer? (Et moi, qu'est-ce que je peux faire?) de José Campanari & Jesús Cisneros.

A ma connaissance pas (encore) traduit en gaulois?

Dès la première page de l'album, nous rencontrons Señor Equis, le 'Monsieur X' qui sera le personnage principal de l'histoire...





Au quatrième étage
d'un immeuble sans ascenseur
d'un quartier aux rues arborées
de l'une de ces villes remplies de gens
vit Monsieur X.








Dans cette grande ville impersonnelle, avec ses arbres maigrichons et ses gens seuls, Monsieur X, qui se gave de mauvaises nouvelles dans les journaux, n'a de cesse de se demander ce qu'il peut faire pour changer les choses. Jusqu'au jour où à la place de se demander, Monsieur X, accidentellement, laisse échapper cette question hors de sa bouche et hors de sa fenêtre...

Et moi, qu'est-ce que je peux faire?
C'est donc un album qui raconte la venue au monde d'une question à laquelle soudainement des gens vont répondre. Mais il n'est pas anodin que cette question survienne au milieu de 'l'une de ces villes remplies de gens' solipsistes à l'excès, sans lien social, où on se côtoie sans se parler comme des petites bulles qui s'entrechoquent.

Cette vision désenchantée de l'espace urbain comme frénétique mais vide de sens, rectiligne mais pourtant 'à rectifier', est assez typique dans la littérature jeunesse contemporaine. On est dans une période où on a de moins en moins de Mili-Mali-Malou et autres héros campagnards ou villageois, et de plus en plus d'enfants et d'adolescents urbains, qui apprennent à négocier et à transgresser un espace beaucoup plus balisé et modelé par l'adulte que la folle nature (on a parlé de Nature il y a quelques billets, vous vous en souvenez?)

Encore une splendide couverture
de chez Folio Junior. Ouille les yeux.
Attention, ça ne veut pas dire qu'on n'avait pas de textes urbains auparavant. La petite princesse de Frances Hodgson Burnett (1905) se déroule presque intégralement dans le Londres asthmatique et gris de la Révolution Industrielle. Mais depuis 50 ans, c'est de plus en plus le cas.

L'espace urbain est généralement perçu comme problématique. Dangereux, fragmenté, violent et douloureux sur un plan tout aussi physique qu'esthétique, il est notamment en littérature ados un endroit qui nécessite un véritable apprentissage, qui a ses dominants et ses dominés, ses codes et ses rouages.

L'épithète 'urbain' n'est donc pas franchement positif. Le roman dit 'urbain' (urban novel) en Anglo-Saxonie désigne un type de récit pour ados abordant des questions particulièrement sensibles de violence, de crime, de drogues, de prostitution dans les quartiers chauds des grandes villes. Cet 'urbanisme' est souvent vu comme l'origine de maux à adresser, à corriger.
 
Moins nul que la couverture
pourrait le laisser penser
On a par exemple le très dur iBoy, par Kevin Brooks, qui mêle fantasy et urban novel en racontant l'émergence d'un superhéros dans une banlieue ultraviolente de Londres, superhéros qui va élucider et venger le viol collectif de sa meilleure amie.

Dans les registres généralement moins dramatiques de la littérature pour enfants plutôt que pour ados, c'est en tant qu'être traditionnellement proche de la nature que l'enfant-héros est souvent le sauveur et le 'rectificateur' des maux de l'espace urbain. On a évidemment Tistou les pouces verts, de Maurice Druon, qui fait pousser des plantes et des fleurs partout dans la ville pour l'égayer, et le tout récent The Curious Garden, par Peter Brown, qui raconte plus ou moins la même histoire.

Vous remarquerez que les deux couvertures ne montrent pas ou peu la ville, qui est pourtant très importante pour l'histoire. Déclaré insatisfaisant et indésirable dès le paratexte, l'espace urbain est relégué à l'intérieur du livre, où il sera immédiatement établi comme le chantier du siècle pour l'enfant-jardinier-magicien. 

Qui a eu l'idée de ce chapeau jaune qui empêche
de lire le nom de l'auteur? génial.


Et même si ce glissement de l'espace urbain à l'espace naturel comme évolution positive n'est pas toujours explicite, il peut l'être de manière tout à fait implicite... et inexpliquée. A la fin de ¿Y yo qué puedo hacer?, on sait pas pourquoi, mais Monsieur X... n'a plus du tout l'air d'être dans la ville. Il se balade à travers les arbres, les fleurs et les cygnes. Adios la ville bourrée de gens! Monsieur X a fait la paix avec lui-même en retrouvant la nature.

Ce n'est, évidemment, pas toujours le cas. Le Petit Nicolas et Tom-Tom et Nana naviguent joyeusement à travers la ville - bien que dans les deux cas il y ait un terrain vague qui semble être le point de chute de leurs rencontres avec d'autres enfants, vous avez remarqué? Je me souviens d'une conversation un jour avec ma mère:

Mini-Clémentine, levant la tête du Petit Nicolas: Maman, c'est quoi un terrain vague?
Maman: C'est un espace abandonné dans la ville. Par exemple un endroit où quelque chose va se construire, et qui est laissé à l'abandon en attendant. 
Moi: Trop incroyablement mégafun!!! Je désire me rendre immédiatement au terrain vague le plus proche en compagnie de ma joyeuse bande de poteaux et potesses du CE1 de l'école Vaugirard. Tels Nicolas, Alceste, Clotaire et compagnie, nous construirons des cabanes et des avions.
Maman: Il n'y a pas de terrains vagues dans le sixième arrondissement.
Moi: ???
Maman: Et de toute façon, même s'il y en avait, il serait hors de question que tu y ailles toute seule, ou avec qui que ce soit d'ailleurs, et surtout pas en Bensimon blanches.
Moi: LE SEUM.
L'enfant ultra-urbain de la littérature semble rêver de ces espaces en friche qu'il peut coloniser à l'insu des grandes personnes - ces petits morceaux anarchiques qui sont ce qu'il a de plus proche de la nature.

Pour l'adolescent fictif, cependant, le rapport à la ville peut être beaucoup plus positif. La série Ligne 15, de Florence Hinckel, raconte quelques mois dans les vies d'une bande d'amis de 14-15 ans. Le fil conducteur de la narration est le bus de la ligne 15, dans lequel ils se retrouvent, et qui devient le symbole de leur navigation de plus en plus mûre, de plus en plus intelligente, de plus en plus efficace, de la ville... et de la vie. De quartier en quartier, de bord de mer en cité, du collège au resto du père de l'un d'entre eux, le bus sert de lien - de lien social, de lien amoureux, de lien géographique - au coeur de la ville.

OUH LA mais j'en ai encore écrit des tartines tellement grosses que t'as besoin d'un autre pot de Nutella pour les couvrir. Pourquoi vous avez rien dit pour m'arrêter? Vous êtes un peu maso en fait. Allez, je m'auto-coupe, et on se retrouve mercredi pour parler V comme Vieillesse. Préparez votre crème anti-rides.


vendredi 15 mars 2013

T comme Temporalité

On retourne un peu à la théorie aujourd'hui? Allez, c'est bon pour la santé. Parlons de temporalité.

Par 'temporalité', je veux dire une certaine conscience du temps; un temps symbolique plutôt que mesurable. Et pourquoi c'est important en littérature jeunesse? Parce que la littérature jeunesse, selon moi, est caractérisée par une division temporelle entre adulte et enfant.

'Mais qu'est-ce qu'elle rrraconte celle-là?'
ACHTUNG! Là je vais vous plonger directement dans les concepts centraux de ma thèse de doctorat, donc ne prenez rien de ce que je vais dire pour parole d'évangile. François 1er ne serait pas d'accord.

Alors, vous vous souvenez du E comme Enfance SymboliquePour moi, la propriété symbolique centrale de l'enfance, c'est sa temporalité, caractérisée par une conscience du futur, des projets, du potentiel, du temps-qui-reste.

Au contraire, l'adulte, qui s'affirme comme omnipotent (vous vous souvenez du A comme Adulte Caché et du O comme Oppression?) se caractérise par une temporalité opposée, basée sur une conscience du passé, de l'expérience, des connaissances accumulées: du temps passé.

Mais en fait il est quelle heure?
Ces différentes imaginations temporelles sont évidemment de l'ordre du symbolique: il n'y a aucune raison valable de les fondre dans une durée de temps calculable. Si je parle à une amie de 44 ans, moi qui en ai 24, nous sommes sur une 'longueur d'ondes temporelle' identique; alors que si je m'adresse à un enfant de 10 ans, malgré nos 14 ans d'écart (contre 20 avec ma pote adule), nos temporalités respectives sont différentes. C'est que culturellement, historiquement, socialement, politiquement, l'enfant et le concept d'enfance ont été 'habillés' de cette imagination temporelle spécifiquement centrée sur l'avenir.

Sans vouloir être morbide, il est tout à fait possible que j'aie en réalité beaucoup plus de 'temps-qui-reste' que ce gamin de 10 ans - il se pourrait qu'il meure demain et moi dans 60 ans. Mais même si c'est le cas, il cristallise quand même des notions tels que l'espoir, le potentiel, la puissance, tandis que l'adulte condense d'autres concepts tels que l'expérience, la connaissance, la sagesse.

Et là vous dites, 'Euh oui bravo Clémentine, on pourrait résumer ça en six mots: "Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait". C'est pour ça que t'es grassement payée à faire trois ans de thèse?'

Ben... oui. Parce qu'aussi étrange que ça puisse paraître, en critique de la littérature jeunesse cette distinction n'est pas souvent exprimée en ces termes, surtout quand il est question [attention notion fétiche de ce blog] du pouvoir de l'adulte [ça y est, elle l'a casé]. Car cette division du concept de temporalité a un énorme impact: elle permet de diviser le concept de pouvoir...

'Diviser le pouvoir?
C'est une idée qui ne me plaît pas beaucoup...'
C'est tout l'objet d'un article que j'ai publié récemment dans la revue universitaire Children's Literature in Education: grâce à cette distinction temporelle, on peut scinder en deux sortes de pouvoirs ce qui n'était auparavant qu'un grand Pouvoir attribué seulement à l'adulte. J'appelle ces deux pouvoirs l'autorité (authority) (pour l'adulte) et la puissance (might) (pour l'enfant)... 

...et ça change beaucoup de choses, sans vouloir faire ma meuf ou quoi. Car soudain la perspective d'un enfant puissant jaillit au milieu d'un champ théorique dominé par la dénonciation d'un adulte omnipotent.


Oui? Non? Ne se prononce pas? Allez, à lundi! avec un U comme Urbain - comme promis à la lettre N...

mercredi 13 mars 2013

S comme Séries

'Les séries, sérigolo.' 'Les séries, séridicule.' 'Les séries, sérien.' 'Les séries, sérépétitif.'

Autant d'idées reçues qui font sérisser les poils des bras. Il est temps, mes chéris, de parler sérieusement des séries. Pour réduire un peu la taille de l'entreprise, il s'agira seulement ici des séries dites 'épisodiques', c'est-à-dire qu'on peut lire dans n'importe quel ordre, et dont il peut y en avoir deux ou trois ou cinquante livres - type Club des Cinq. La série type Harry Potter, dont les livres forment une intrigue générale cohérente, n'est pas l'objet de ce billet. 
oui, j'illustre cet article...

La série épisodique a longtemps été un type de littérature jeunesse très déconsidéré... et pourtant absolument omniprésent. Le concept de série, en littérature, est vieux comme le monde (à 4,5 milliards d'années près). Charles Dickens, Eugène Sue, Arthur Conan Doyle et leurs poteaux publiaient leurs romans et nouvelles en feuilletons dans des journaux - pas forcément des séries, mais c'est un principe similaire.

De nos jours, les éditeurs ont constamment soif de séries. Car les lecteurs en raffolent. Mais voilà, môsieur-mâdâme le/la critique littéraire n'aime généralement pas ça. Et pourquoi donc?

...avec mes séries préférées...
Eh bien, malgré cet héritage que l'on trouve prestigieux a posteriori, la série a toujours souffert d'un manque de prestige. Le roman-feuilleton n'avait pas à l'époque de titre de noblesse. Et puis au XIXe siècle, les séries pour enfants ou adolescents, c'étaient surtout des livres très cheap, dont les si bien nommés penny dreadful, des 'Chair de Poule' avant l'heure: des aventures extraordinaires et fabuleusement formulaïques imprimées sur papier tout moche et vendus au modeste coût - vous l'aurez deviné - d'un penny aux ados désoeuvrés pré-YouPorn.

...parce que c'est mon blog...
L'adulte intellectuel et cultivé reniflait déjà avec dédain, mais ça ne s'est pas arrangé avec l'arrivée des comics, des interminables séries de science-fiction, des 'livres dont vous êtes le héros', et maintenant des webcomics, ces formes de littérature sérialisée qui à leurs époques respectives ont été perçues comme de la sous-littérature - surtout qu'en parallèle, la littérature dite 'de gare', pour adultes, est également très portée sur la sérialisation.

Le 'one-shot', que ce soit pour enfants ou pour adultes, est toujours apparu comme plus évolué, plus développé, peut-être parce qu'il contient sa fin en lui-même. Il se suffit à lui tout seul; il ne dépend pas de ces procédés vulgaires que sont le cliffhanger, le comique de répétition, le pathos, le 'la suite au prochain numéro', et surtout la séduction du lecteur comme consommateur vorace, boulimique, incapable de résister à l'envie d'acheter le prochain bouquin de l'interminable série.

...et jfais cque jveux d'abord...
Un certain nombre de critiques en littérature jeunesse trouvent que les séries pour enfants ont plusieurs caractéristiques qui empêchent, selon eux, une expérience de lecture sophistiquée chez le jeune lecteur:
  • l'identification, aïe! avec un ou plusieurs personnages récurrents.
  • l'habituation à des intrigues de forme similaire et répétitive, généralement caractérisés par un retour au statu quo
  • l'alternance constante d'énigmes et de solutions (une intrigue secondaire est résolue, une nouvelle se prépare), faisant de la lecture une activité à 'remplir' de mini-manques et de mini-gratifications
  • un manque d'audace et de créativité esthétique et idéologique
  • une lecture de la vitesse et de l'immédiateté
  • une dépendance extrême quant aux demandes du lectorat, du marché, et de nos jours de la télévision et du cinéma
  • une accoutumance, pour l'enfant-lecteur, à une consommation excessive de produits culturels superficiellement satisfaisants mais 'vides' de sens
  • une absorption totale du lecteur dans une littérature 'échappatoire', du domaine du fantasme
...alors ferme ta boîte à camembert
Et j'en passe. Elle est habillée pour l'hiver, là, la série...

J'espère que vous vous doutez bien que je ne pense pas un mot de tout cela (après la thèse, l'antithèse). Enorme consommatrice de séries étant petite, et maintenant auteure de série avec ma petite Sesame Seade anglaise qui est entre Fantômette et Fifi, je pense que les séries ont eu une influence incommensurable sur mon développement en tant que lectrice et écrivain.

La beauté de la série, c'est par-dessus tout l'équilibre au millimètre entre répétition et changement, entre confort et surprise. C'est ce qui fait qu'on détesterait que le Petit Nicolas ait une petite soeur, car ça changerait toute la configuration de la famille, mais qu'on est bien contents qu'il retrouve de temps à autre Marie-Edwige pour pimenter ce microcosme de petits mecs.

C'est ce qui fait que Ficelle et Boulotte sont exactement les mêmes, mais parfaitement renouvelées, à chaque nouveau Fantômette. Elles nous font hurler de rire avec de nouvelles blagues, mais leur caractère propre reste inchangé. C'est ce qui fait que Babar et sa famille peuvent partir pour de longues aventures exotiques, mais qu'on sait toujours qu'ils vont rentrer à Célesteville sans rencontrer les éléphants-caillera de Gilles Bachelet. C'est l'alliance littéraire du danger et de la sécurité.

Et en tant que lecteur et auteur-en-formation, ça n'a pas de prix. La série permet d'observer avec une précision extrême les degrés possibles de variations linguistiques, narratives, esthétiques, etc., et leur interaction avec les éléments 'stables'. Beaucoup de grands auteurs, inspirés par ce format, commencent par 'inventer' des récits qui sont simplement de nouveaux épisodes de la série de quelqu'un d'autre avant de 'passer' à leurs propres histoires. Par exemple, Sartre, moi, et E.L. James, l'auteure de Cinquante Nuances de Grey. Des grands auteurs, je vous dis.

Et puis la série répond à sa façon à un besoin dévorant qu'a l'enfant de comprendre dans les moindres détails les mondes fictionnels qui lui sont offerts. Un besoin qui persiste, d'ailleurs, chez les fans adultes de littérature de genre. L'enfant-lecteur semble vouloir connaître avec précision les univers dans lesquels il se plonge, d'en comprendre les rouages, il veut des cartes, des descriptions de personnages, des 'biographies' en bonus - toujours plus.

Cette soif de détail, d'exploration, elle est très visible dans la capacité apparemment infinie qu'ont les enfants à relire et rerelire et rererelire les mêmes livres. Je me souviens de l'exaspération de ma mère - "Mais combien de fois tu l'as lu, celui-là?". C'est une pulsion qui je pense n'a rien de problématique, bien au contraire: à mon avis, elle exprime la curiosité somme toute assez saine qu'a l'enfant d'aller au fond des choses, de 'quadriller' entièrement le monde pour mieux le comprendre.

la mienne! ben oui hein
Car les enfants font ça à longueur de journée - essayer de comprendre comment leur monde fonctionne, quels en sont les paramètres, c'est un réflexe, un besoin. La série, je pense, propose, comme la relecture, un moyen de saisir un monde de manière aussi exhaustive que possible.

Et de s'y perdre, peut-être, mais d'y trouver aussi au passage une méthodologie inconsciente et très sophistiquée de décodage des personnages, du style, des intrigues, de la fiction, en somme. Une sophistication qui ressortira peut-être quarante ans plus tard en Nausée, en Sesame Seade, ou en Cinquante Nuances de Grey.

Bon, vous aurez compris que c'est un sujet qui me passionne, donc j'arrête là sinon on n'est pas couchés. Et comme je suis sûre qu'il y a des lecteurs/trices et auteur/es de série parmi ceux et celles qui sont arrivé/es au bout de ce billet, dites-moi donc en commentaire - qu'est-ce que vous aimez particulièrement dans les séries? Lesquelles sont vos préférées? Qu'est-ce qui vous attire dans la lecture ou l'écriture ce type de littérature? Dites-moi donc, ça m'intéresse.

On reprend vendredi avec un T comme Temporalité!